La menace d'un divorce fait chuter les tabous. Les Wallons, qui s'estiment éconduits par leurs partenaires flamands, affichent désormais leurs penchants pour la France : 49 % d'entre eux se laisseraient séduire par le «rattachement» si la rupture de la Belgique devait être consommée après 178 ans de mariage.
Le chiffre, surprise d'un sondage Ifop publié mardi par le journal belge Le Soir et le quotidien français La Voix du Nord, confirme le raidissement de part et d'autre de la frontière linguistique. Jusqu'ici, les 4 millions de Wallons passaient comme l'ultime rempart du royaume. Depuis des années, ils encaissent sans rien dire les exigences de leurs 6 millions de compatriotes flamands et toutes leurs velléités de prendre le large. Aujourd'hui, ils commencent à se rebiffer et font monter les enchères.
Chez les francophones, les hommes politiques qui prônent une forme d'union ou une autre avec le grand voisin du sud se comptent sur les doigts d'une main. Leurs partis, groupusculaires, à l'image du Rassemblement Wallonie-France (RWF), font rarement plus de 1 % des voix. Et même côté flamand, les partisans d'une séparation, amiable de préférence comme les Tchèques et les Slovaques, n'obtiennent le suffrage que d'un électeur sur 10 à peine.
Ce sondage ne serait-il qu'un geste de dépit ? «C'est plutôt un cri, explique l'éditorialiste du Soir Luc Delfosse. Les francophones sont terriblement en colère. Contre la loi du nombre que la classe politique flamande veut imposer dans la gestion du royaume. Et contre le premier ministre Yves Leterme, pompier, pyromane et somme toute incapable de prendre une décision. Le divorce n'est pas pour demain. Mais en cas de malheur, les Wallons veulent croire que la France pourrait être le refuge.»
L'écrasante majorité des Wallons reste cependant optimiste sur la survie du ménage belge, d'après la même enquête. Certes l'approfondissement, la gravité et les risques de la crise sont presque unanimement reconnus (93 %). Mais seuls 23 % des Belges francophones estiment que la rupture et la disparition du couple sont aujourd'hui plausibles (contre 59 %). Dans ce cas, ils se jetteraient bien dans des bras français. Mais c'est un scénario qui passe par le pire. Mieux vaut l'éviter.
Paul-Henry Gendebien, fondateur et président du RWF profrançais, croit pourtant son heure venue. «C'est le résultat de la déliquescence accélérée de l'État belge, dit-il. Au bord du précipice, les Wallons éprouvent un besoin de sécurité et de stabilité. La solution française est quelque chose à quoi se raccrocher. Soit par enthousiasme. Soit par résignation. La séparation avec les Flamands ne sera qu'un mauvais moment à passer.»
Depuis la troisième démission d'Yves Leterme (refusée par le roi), les partisans du rattachement redressent la tête. L'union avec l'Hexagone, sujet longtemps sulfureux, n'apparaît plus tout à fait comme une blague, dit le politologue Pascal Delwit. Le RWF colle partout ses affichettes en détournant la devise du royaume : «Avec la France, l'union fera la force.» À l'image de Paul-Henry Gendebien, les francophiles soulignent une longue proximité culturelle, judiciaire et administrative, héritage de la Révolution française, de Napoléon et des idéaux fondateurs du royaume. «En 1830, dit-il, la Belgique voulait être une deuxième petite France.» Ce romantisme risque cependant de se heurter à de solides réalités (lire ci-dessous). Comme avec le Québec mais cette fois dans un voisinage direct, la France s'en tient pour le moment à une ligne qui peut devenir acrobatique : ni ingérence ni indifférence.
L'Union européenne s'inquiète, avec les 25 autres pays membres, de l'éventuelle disparition d'un des six signataires du traité de Rome. Le modèle d'intégration du Vieux Continent connaîtrait a fortiori des heures difficiles si le royaume qui abrite l'essentiel de ses institutions venait à disparaître. Avec, circonstance aggravante, une hypothétique rectification de frontière…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire